LE PROBLÈME DES VICTOIRES DE LA MUSIQUE
- Benjamin Germany
- 14 févr. 2023
- 4 min de lecture
Ce vendredi 10 février s’est déroulée la 38ème cérémonie des Victoires de la Musique, l’occasion pour nous de revenir sur son fonctionnement et essayer de comprendre pourquoi elle ne parvient pas à refléter la réalité de l’industrie musicale actuelle et la vision de la jeunesse qui respire musique tous les jours.

La première question qu’il est légitime de se poser est : qui sont les votants pour les différentes récompenses remises lors de cette cérémonie ? En général, c’est une académie composée de 600 professionnels du métier. Pour simplifier, nous pouvons les séparer en 3 grands groupes : les Majors et labels indépendants, les auteurs et compositeurs ainsi que l’industrie en elle-même (journalistes, festivals, plateformes de streaming…). On peut noter que cette année, ils ont ajouté 200 personnes : 100 jeunes entre 18 et 20 ans sélectionnés par le biais du Pass Culture et 100 autres tirés au sort, le tout dans une équité hommes/femmes (encore heureux, mais on peut saluer l’effort).

Cependant, en lisant le règlement de votes disponible sur le site des Victoires, on peut voir que c’est le Conseil d’Administration, composé de 22 personnes, qui détermine les catégories et qui peut y figurer. Le vote se déroule en deux tours entre novembre et décembre.
Le premier détermine 8 pré-nommés (ou 10 pour album et chanson de l’année), pour finir au deuxième tour avec 3 nommés (et 5 pour album et chanson de l’année).
Le décor est planté, on peut maintenant se plonger un peu plus en détails dans les catégories pour soulever les différents problèmes que ces Victoires suscitent.
Le principal souci qui est relevé chaque année lors de la révélation des nommés, c’est le manque de variété et de diversité au sens large. Le premier élément flagrant est le nombre de nommés par catégories. Pourquoi seulement 3 ? La plupart des cérémonies en ont au moins 5 et eux-mêmes ont ce chiffre pour les catégories meilleur album et meilleure chanson, pourquoi ne pas le faire pour les autres également. Résumer une année de musique à 3 artistes masculins et 3 artistes féminines, c’est ridicule, surtout depuis la suppression des catégories par genre, mais nous reviendrons sur ce point précis plus tard. Contrairement à une cérémonie comme les NRJ Music Awards, crée par TF1 et NRJ pour s’auto-congratuler de leurs propres succès populaires, les Victoires revendiquent le fait de récompenser la musique en général par ceux qui la font. Et sur ce point, difficile de comprendre l’objectivité recherchée. Par exemple, Stromae se retrouve nommés dans toutes les grandes catégories avec l’album décevant qu’est « Multitude » (nomination pour « L’Enfer » en chanson totalement méritée cela dit). Étonnant également de voir Lujipeka nommé en meilleure révélation alors qu’il est présent avec le groupe Columbine depuis 2016.
Je comprends que cela concerne sa carrière solo mais cette appellation de « révélation » reste bancale.

Les Victoires de la musique ont toujours eu un souci avec l’intitulé des catégories par genre. On peut facilement prendre l’exemple du rap qui a commencé par « Rap /Groove » en 1998 en passant par « Rap, Ragga, Hip-hop, R’n’B », comme ça on ne peut pas se tromper, jusqu’à arriver à l’horrible appellation « Musiques Urbaines » devenant un véritable fourre-tout. Cela dit, n’oublions pas non plus « les musiques électroniques » qui possèdent une variété de genre encore plus grande que le rap. Avec toutes les critiques concernant ces différents noms, en 2020, les Victoires décident de simplement supprimer la répartition par genre. Plus de problème de nom désormais ! Cependant, même si l’idée peut paraître intéressante sur le papier, cela pose une nouvelle difficulté : la variété des nommés. Cette décision efface d’un coup de nombreuses chances d’être nommés. Pour le coup, le rap parvient à s’en sortir avec des nominations pour Orelsan, Lomepal ou encore Nekfeu (même si ça montre clairement un autre problème…) mais où est l’électro ? Où est « la musique du monde » comme il l’appelle ? Et bien ces albums disparaissent à cause de la suppression de leurs catégories… Je peux comprendre qu’ils ne soient pas nommés dans les albums de l’année, mais dans ce cas, pourquoi supprimer leurs catégories et leurs chances de nominations ?

On en vient à la grande nouveauté apparue l’an passé, la récompense pour l’album le plus streamé. Bon, j’ai envie de croire que c’est pour remettre un prix de succès populaire, mais une petite voix me dit que c’est plutôt une compensation pour ceux qui n’ont pas leur place dans les « grandes » catégories. De plus, ce prix est un aveu de faiblesse selon moi.

Le Conseil d’Administration revendique le fait que son jury est composé de professionnels du métier et que le but est de récompenser les meilleurs projets, non pas les plus populaires (même si les deux peuvent coïncider). Ce prix est clairement fait pour la musique populaire et le public. Encore une fois, dans l’idée, je n’y vois aucun inconvénient, plus il y a de prix, plus il y a de nommés. Mais les intentions… Difficile de ne pas y voir la volonté de contenter les artistes rap qui n’ont pas de relation étroite avec la chanson française, je vous conseille le discours de SCH l’année dernière qui fut le premier à recevoir ce prix. Et c’est triste de voir les Victoires toujours autant en retard quand la musique, elle, évolue ! On peut voir Feu! Chatterton (nommé pour meilleur album l’année dernière) se mélanger avec des rappeurs comme Prince Waly ou Myth Syzer. Les artistes ont cette volonté d’abattre les murs et l’industrie devrait encourager cette initiative, et même en être à l’origine ! En-tout-cas, la musique française va bien, très bien même. Il est temps que ça se reflète dans nos cérémonies, non ?
Article écrit par Benjamin Germany
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