Alma Rosaz : « J’imagine beaucoup de scénarios et de mondes »
- Elodie Gros-Desir
- 9 déc. 2022
- 9 min de lecture
Jeune photographe de talent, c’est avec enthousiasme qu’Alma Rosaz a accepté de répondre aux questions de KASBAH. Avec nous elle est revenue sur son parcours, ses inspirations et a même évoqué ses projets à venir. Pour la jeune artiste française basée à Londres, la photographie s’est imposée comme une évidence dès son plus jeune âge. Son style qu’elle qualifie de coloré, kitsch ou encore créatif déteint même sur sa façon de s’habiller. Vêtue d’un pull bleu ciel orné de nuages blancs, elle donne le ton de cette interview haute en couleurs !

Pour commencer Alma, peux-tu te présenter ? Parler de ton parcours, de ta vie ?
Alma : Je m’appelle Alma, je suis Française mais je vis à Londres. D’ailleurs toute ma vie j’ai été expat’. J’ai vécu 3 ans en France. Une fois quand j’avais 7 et 8 ans et plus tard j’ai fait un an d’études à Paris pour mon Master. J’avais 20 ans.
En tant qu’expat’, tu as toujours été dans des écoles française ?
A : J’ai été dans des écoles françaises jusqu’au brevet et ensuite quand j’ai emménagé au Nigeria je suis allée dans un lycée international américain.
Je suppose que tu es bilingue, peut-être même « trilingue »
A : (rires) Non juste bilingue !
À quel âge as-tu commencé à t’intéresser à la photo ?
A : Je pense que je suis intéressée depuis toujours. Vraiment ça a commencé à l’âge de deux ans. C’est ma mère qui me l’a dit bien sûr, je ne m’en souviens pas ! À deux ans ma mère me faisait des albums photos avec mes amies et apparemment j’étais à fond sur cet album. Je dormais même avec ! Je regardais les photos, je les scrutais au millimètre près. Ça a vraiment commencé là, c’est inné. Bien sûr après j’ai piqué l’appareil photo de mes parents à l’âge de 12 ans et j’ai commencé à prendre des photos des amies qui venaient chez moi. On s’habillait toutes, on faisait des photoshoots, des clips vidéos (comme beaucoup d’ados).
Quand je suis arrivée en Afrique j’ai commencé à faire des auto-portraits et j’utilisais les lampes de ma chambre pour faire des éclairages différents. C’est vrai que ça avait l’air un peu plus professionnel qu’avant. Et puis au lycée, quand j’avais 16 ou 17 ans, ma prof d’art a trouvé ma page Facebook de photos et puis elle m’a dit ‘tu arrêtes tout ce que tu fais je te présente des photographes’. Elle m’a dit ‘Il faut que tu sois photographe’ et c’est elle qui m’a dit d’aller à Londres étudier la photographie. Je lui dois tout.

Tu as toujours été autodidacte ?
A : Oui. A 15,16 ans, j’ai commencé à regarder des vidéos YouTube de photographes et j’ai un peu « copié » ce qu’ils faisaient. Dès que j’ai commencé à parler du fait que je vouais étudier la photo, ma mère m’a avoué qu’elle était photographe étant plus jeune. Et puis mes parents ont fait beaucoup de voyages, ils ont pris beaucoup de photos documentaires... des photos extraordinaires.
Tes parents travaillent dans quoi ? Ils sont artistes eux aussi ?
A : Mon père travaille chez Total et ma mère est peintre.
D’où te viennent tes inspirations alors, mis-à part des albums de tes parents ?
A : La première photographe que j’ai suivie c’est Brooke Shaden. Après ma prof d’art m’a montré Tim Walker et Annie Leibovitz. En arrivant à Londres j’ai découvert le style de David LaChapelle, Miles Aldridge, etc.
De quelle manière ils t’ont influencée ? C’était plutôt sur la forme, les modèles, le genre ?
A : Je me suis inspirée de leur compositions, leur manière d’imaginer des histoires, les couleurs,
l’éclairage...
Alors contrairement à ce qu’on pourrait penser la photo ce n’est pas quelque chose de figé ? Tu essaies de raconter une histoire à travers tes clichés ?
As-tu un exemple de série de photos ou de shootings derrière lesquels il y a ce storytelling ?
A : J’ai fait une série où j’ai fait une collaboration avec une illustratrice. J’ai imaginé une fausse compagne de pub pour laquelle elle a dessiné des faux-produits avec des noms ridicules. Alors on a créé notre marque qui s’appelait Nuage-en-ciel, ça ne veut rien dire, mais on a inventé des produits du style sardines à la barbe-à-papa, des trucs hyper décalés. J’ai fait une autre série Ma poupée Carton (j’aime bien faire le titre de mes séries en français) où j’ai réutilisé les habits des poupées en papier que j’ai photographié puis photoshopé sur des petites filles que j’avais aussi photographiées.
Ensuite j’ai mis ces petites filles dans des boîtes à poupées. Il y a un photographe Steven Meisel qui fait ça. Là par exemple je suis une série qui raconte l’histoire de deux femmes qui sont en couple et qui ont un enfant. Il y en a une qui est enceinte au début, puis elle accouche (bien sûr on ne voit pas l’accouchement). On suit leur histoire d’amour et leur vie avec leur bébé.
Tu es spécialisée dans la musique et dans la mode. Pourquoi avoir choisi ces deux domaines ?
A : Quand j’ai commencé à faire des études de photo, j’ai fait une licence de photographie en général. Et mon école était très conceptuelle : ils voulaient qu’on prenne des photos d’architecture, il y en a qui prenait des photos de cailloux (rires). Bref, ça ne me parlait du tout. En deuxième année j’ai fait un échange à New York au cours duquel j’ai découvert la photographie de mode. C’était une révélation pour moi.
Je me suis dit ‘c’est ça que je veux faire et je veux créer des histoires avec mes photos’.
Et après j’ai fait un Master de photo de mode à Paris et un deuxième à Londres, pareil dans la photo de mode. Et la musique, ça m’est arrivé comme ça, par hasard. Mon style est un peu extravagant, décalé alors je crois que ça a commencé à attirer un peu les artistes. Sur Instagram je recevais pleins de demandes d’artistes, de chanteurs qui voulaient que je les prenne en photo. C’est cool parce qu’ils me laissent une grande liberté d’expression et après on travaille bien sûr ensemble sur le projet final. Ils me veulent pour mon style, ce qui est bien.
Ton travail dans la photo de mode t’as-t-il permis d’acquérir une certaine connaissance dans tout ce qui est lié au milieu de la mode ?
A : Je ne m’y connais pas autant que les stylistes par exemple mais je me passionne quand même. Je regarde les défilés et sur Instagram je follow pleins de marques et je suis beaucoup leurs campagnes. Je sais qu’il y a des photographes qui ne s’intéressent pas du tout aux marques, aux maisons de couture. Mais je pense il faut quand même un minimum. Après je sais que je ne connais pas toute les collections, tous les défilés. Mais j’essaye.
En tant que photographe, t’arrive-t-il d’être invitée sur des événements type Fashion week ? Ou encore es-tu amenée à shooter ces événements ?

A : Après avoir travaillé avec les relations de presse sur des shoots je suis parfois invitée à des défilés ou des événements ponctuels. C’est surtout pour découvrir les nouvelles collections ou les designers. Maintenant je photographie moins les événements, je suis surtout invitée. Après bien sûr si on me demande de photographier un événement je le ferais... si je suis payée ! (rires) C’est vrai que parfois on a tendance à nous demander de travailler gratuitement sous prétexte que ça nous apporte de la visibilité. Je pense que je suis passée à l’étape suivante.
Il y a des marques avec lesquelles tu as été amenée à collaborer et qui t’ont marqué ?
A : J’ai travaillé avec Adidas et c’était super. L’équipe était uniquement composée de femmes et c’était super sympa. Après j’ai bossé avec des marques anglaises. Il y a Jaded London avec qui c’était cool aussi ; ce n’étaient que des jeunes. Je pense aussi à The Ragged Priest... Ce sont les trois noms qui me viennent !
Quand on regarde tes photos, impossible de passer à côté du fait que tu t’inscris dans un univers coloré, très décalé ! A quel moment tu as décidé de d’adopter ce style ?
A : Ça a commencé quand j’ai collaboré avec une autre marque avec laquelle j’ai beaucoup aimé travailler d’ailleurs : Daily Paper, une marque hollandaise. Je mes ai contacté en 2019 pour demander s’ils étaient intéressés pour qu’on fasse un shoot en Afrique du Sud et ils ont accepté. Les habits étaient jaunes, rouges... et le ciel à Cape Town à ce moment-là était d’un bleu magnifique, j’avais trop de chance. Et quand j’éditais les photos, j’ai fait ressortir les couleurs. Et quand j’ai vu le rendu je me suis dit ‘Waouh ! C’est magnifique J’adore, visuellement ça me parle’ (rires) Alors que ce sont mes photos ! Et quand on les a posté sur les réseaux, les gens les ont beaucoup aimé. Même mes amis m’ont dit que c’était mon meilleur shoot. Après il y a eu le confinement... On était coincé nous. C’est là que j’ai décidé de remplacer l’arrière plan. J’ai fait des auto-portraits je me suis mis dans des scénarios pour échapper à ce qui nous arrivait. Et les gens ont adoré. Après j’ai ressorti mon fish eye et ça a beaucoup plu. Jusque là, à part Tim Walker, il n’y a pas beaucoup de gens qui l’utilisaient. J’ai eu beaucoup de demandes d’interviews après ça...

Combien de temps ça t’as pris de te faire connaître ? D’avoir un style bien à toi et de l’assumer ?
A : Si on part du moment où j’ai commencé à l’université... ça m’a pris 5/6 ans. Je me souviens qu’une fois en Afrique du Sud j’ai assisté un photographe. Quand j’ai montré ses photos à ma mère, qui elle aussi est artiste, elle m’a dit ‘Tu vois lui il a un style ! Il faut que tu aies un style aussi !’.
Et franchement sur le coup ça m’a énervée. Mais ça m’a aussi activé quelque chose dans le cerveau. Je me suis dit qu’il fallait vraiment que je sorte un style bientôt. Et puis peut- être un an après ça y était.
En parlant de l’Afrique. Le côté coloré qu’on retrouve dans tes photos est-il dû au fait que tu y as vécu ?
A : Oui oui ! C’est ce que j’ai dit dans des interviews précédentes. C’est vrai qu’au Nigeria par exemple, les femmes s’habillent dans des tenues colorées pour aller à l’église. C’est tout le temps coloré. Je me souviens qu’à 15/16 ans, j’avais pris des photos de ma voiture et j’avais tout mis en noir et blanc autour sauf les gens. Et je me suis dit ‘waouh !’ Ça faisait un vrai contraste c’était hyper joli. Et puis ça faisait du bien de voir des couleurs dans un pays comme le Nigeria où c’est pas facile. Donc inconsciemment le fait d’avoir vécu là-bas m’a beaucoup inspiré.
Je pense d’ailleurs que ce sont pleins de petits trucs inconscients comme ça qui restent.
Si tu devais décrire ton style en trois mots ? Tu dirais quoi ?
A : Décalé, kitsch et coloré je pense... En fait il y a pleins de mots ! (rires) Peut-être créatif parce
que j’imagine beaucoup de scénarios, de mondes.
Des projets à venir ?
A : J’ai un éditorial qui va sortir le 8 décembre. Celui des deux femmes qui partent en roadtrip dont j’ai parlé tout à l’heure. Je pense que c’est un peu différent de mon style donc j’ai hâte de voir la réaction des gens. C’est un peu plus dark que d’habitude je pense. Ça se joue au niveau des couleurs, c’est un peu plus ‘moody’. J’essaie de faire des choses différentes parce que j’ai un style vraiment très niche, c’est très particulier. Et je pense que parfois les clients se disent ‘elle ne sait faire que ça’. Alors j’essaie de me diversifier pour montrer que je sais faire autre chose. Je ne fais pas que du fish eye avec des collages ! Le travail que j’ai commencé récemment est dans une maison de production. Le patron m’a dit qu’il allait me mettre sur des shoots. Ce sont des shoots un peu plus commerciaux avec des célébrités des fois donc j’ai hâte de voir comment je travaille dans quelque chose de commercial. Et ça me permettra de découvrir un nouveau style parce que c’est vrai qu’à la base ce n’est pas trop mon truc.

L’édito dont tu as parlé un peu avant, il sortira sur ton site, sur les réseaux sociaux ? D’ailleurs est-ce que tu fais des expositions ?
A : L’éditorial est pour le Schön Magazine. Il vont le publier sur leur site et après je vais mettre les photos sur mon Instagram, mon LinkedIn, mon site aussi pour exposer virtuellement.
Et après question exposition : j’ai une exposition qui arrive en janvier du 23 au 29. Ce sera à Paris dans le Marais.
C’est une exposition groupée à laquelle je vais me rendre avec ma mère. J’en ai une en septembre à Amsterdam aussi peut-être.
Interview faite par Élodie Gros Desir
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